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Terrorisme : entre police de la pensée et répression, c’est l’école qui trinque

Bernard Girard
Enseignant en collège

 

Dérapages incontrôlés mardi à l’Assemblée nationale avec l’école en ligne de mire.

Passons sur cette « Marseillaise » hystérique lancée par Serge Grouard, député UMP d’Orléans, dont il faut quand même rappeler le titre de gloire : ce prototype de la droite dure s’était signalé en 2008 avec un dépôt de plainte contre un blog satirique qui le mettait en cause. C’est cet ardent défenseur de la liberté de la presse et des journalistes (morts) qui aura donc entraîné derrière lui la représentation nationale unanime dans l’indécence.

La faute au laxisme de l’école

Pour ce qui touche à l’école, le pire est venu du Premier ministre, dans un discours d’une rare violence – les commentateurs parlent de « courage politique » – et d’une insigne malhonnêteté intellectuelle : la responsabilité des tueries de la semaine dernière n’est pas à rechercher dans l’incompétence de services de police (et du ministre de l’Intérieur de 2012 à 2014) qui ont laissé se promener librement dans la nature des terroristes pourtant dûment répertoriés, mais dans le laxisme de l’école « qui a laissé passer trop de choses ».

Trop de choses ? Comme par exemple le fait que « dans certains établissements, on ne puisse pas enseigner la Shoah ».

Cette critique récurrente, ce poncif véhiculé par la droite au cours de toutes ces années, prend une signification toute particulière dans le contexte actuel : car dans la bouche d’un chef de gouvernement, établir un lien entre le refus d’une malencontreuse minute de silence et la négation de la Shoah est profondément irresponsable.

En stigmatisant ainsi toute une population, au risque d’attiser les tensions, mais aussi les enseignants jugés incapables de faire leur travail, Valls montre surtout que sa défense affichée de la communauté juive a bien des arrières-pensées, à commencer par la promotion de sa petite carrière personnelle. Vu sous cet angle, il a bien mérité les applaudissements chaleureux de toute la droite.

Leçons de morale et répression

Mais était-il indispensable que la ministre de l’Education nationale se laisse à son tour entraîner dans ce jeu pervers ? Devant les recteurs rassemblés en urgence, Najat Vallaud-Belkacem se livre à un exposé schizophrénique : d’un côté, en conformité avec l’image qu’elle a donnée jusque-là, une analyse honnête sur l’échec scolaire, les discriminations, l’injustice sociale ; mais de l’autre ? Des réponses dérisoires balançant entre leçons de morale et répression :

  • à la rentrée prochaine, une heure hebdomadaire de catéchisme laïque pour tous les élèves, triste traduction de la laïcité, réduisant les impératifs du vivre-ensemble à une heure de cours ;
  • la distribution dans les établissements d’un « Livret opérationnel de prévention » (sic), kit de repérage de l’élève déviant, sans doute inspiré par l’initiative pourtant largement dénoncée de l’académie de Poitiers il y a quelques mois ;
  • toute la hiérarchie de l’Education nationale « mobilisée » à tous les échelons pour traquer l’hérésie et faire remonter les incidents au plus haut niveau ;
  • et bien sûr, signe d’une administration si peu assurée de ses valeurs, lerecours à la sanction saura convaincre les plus rétifs : conseils de discipline, travaux d’intérêt général et – plus inquiétant – le Premier ministre annonçait mardi qu’une quarantaine de situations avaient été transmises « aux services de police, de gendarmerie et aux parquets. » C’est bien vrai que, pour la police, il est plus facile d’arrêter un collégien qu’un poseur de bombes.

Reviens Charlie, ils sont devenus fous

On en est là : il y a huit jours, deux fanatiques éliminaient toute une rédaction. Encouragé par une surexposition médiatique éhontée de l’événement, le pouvoir politique le récupère à son profit de la façon la plus brutale qui soit, visant tout spécialement l’école : incapable de traiter les problèmes à leur source – pas un mot de Valls sur la misère sociale, les ghettos scolaires, les discriminations racistes –, le gouvernement fixe le cap pour l’école : répression et police de la pensée.

Reviens Charlie, ils sont devenus fous.

Défilé de fantômes et de vieilles recettes chez Vallaud-Belkacem

 

Avec l’invitation de Najat Vallaud-Belkacem à ses prédécesseurs de venir l’éclairer de leurs conseils, la question scolaire a pris un sacré coup de vieux. Un défilé de fantômes – Chevènement, de Robien, Darcos et quelques autres – a donné à la rue de Grenelle comme une odeur de naphtaline… et de rance.

Debout pour « La Marseillaise » !

S’expliquant ensuite sur RTL, la ministre de l’Education a alors fait part de quelques-unes des préconisations, sans doute inspirées par ces maîtres-penseurs :

« La question des rites et de l’autorité à l’école se pose. Il y a besoin pour les élèves de se reconnaître dans une communauté qui peut se matérialiser, pourquoi pas, par des rites. »

Mais de quels rites, de quelle autorité s’agit-il et pour quelle communauté ? C’est très simple, simpliste même : les élèves doivent se lever en classe en présence des adultes et savoir chanter « La Marseillaise ». Et c’en sera fini du terrorisme…

Sarkozy, c’est bien toi ?

L’obligation faite aux élèves de se mettre debout a dû rappeler aux enseignants quelques souvenirs cocasses, la ministre reprenant à son compte une promesse électorale de Sarkozy en 2006 : « Je veux une école du respect où les élèves se lèvent quand le professeur arrive. » Promesse restée dans les annales comme l’exemple classique d’un certain type de gouvernance, très prisée à l’Education nationale, qui consiste à promouvoir bruyamment comme nouveauté une pratique qui existe depuis toujours dans les établissements, prévue par la plupart des règlements intérieurs.

Dans le contexte actuel de communion nationale, de grand-messe collective – pardon pour ce vocabulaire si peu laïque –, ce rêve de l’école en blouse grise semble également partagé par la gauche et les représentants de la droite la plus dure, qui n’ont pas manqué d’en rajouter une couche avec deux propositions de loi venues de l’UMP :

  • l’inénarrable Ciotti demandant que soient privées d’allocations – une idée fixe chez cet homme – les familles dont les enfants ont refusé de participer à la minute de silence ;
  • une autre de Bernard Debréexigeant « le port de l’uniforme et la présence des paroles de l’hymne national et du drapeau tricolore dans les classes des écoles de la République française ». Tout ça, sans doute, pour honorer la mémoire de Charlie Hebdo ?

Des dégâts du recours aux symboles

S’agit-il d’amuser la galerie et de détourner l’attention ? En partie, évidemment, mais les références obstinées aux symboles nationaux sont également le signe de l’incapacité de l’Education nationale à donner corps à l’idée de communauté éducative.

Car contrairement à ce que les propos convenus sur les hypothétiques bienfaits de « La Marseillaise » voudraient laisser entendre, cette dernière n’a jamais été absente de l’école et ses effets positifs se font toujours attendre : il y a trente ans déjà, Chevènement l’avait réintroduite au rang des symboles nationaux à connaître, avant qu’en 2005 la loi Fillon n’en fasse l’objet d’un apprentissage obligatoire et ritualisé, chaque élève étant tenu de la chanter « avec respect ».

Tous les programmes scolaires s’y réfèrent explicitement avec une lourde insistance, chaque ministre se croyant tenu d’en rappeler la nécessité, jusqu’à la dernière loi d’orientation (Peillon, 2013) qui a fait accrocher le drapeau tricolore – aux côtés du drapeau européen, ce dernier manifestement de trop aux yeux de certains – au fronton de chaque école. Cette présence forte des symboles nationaux, mais aussi de l’histoire nationale, surtout dans l’enseignement primaire, accompagne la vive crispation identitaire dont toute la société fait les frais, notamment depuis le calamiteux débat sur l’identité nationale voulu par Sarkozy.

Et plutôt que de se lamenter sur la menace « communautaire » dont l’école est supposée faire l’objet, les musulmans étant seuls ici nommément désignés, il serait sans doute plus judicieux de s’interroger sur les dégâts avérés qu’une approche aussi réductrice de la vie en société a pu provoquer.

L’absence d’un réel courage politique

Trente ans après avoir sévi à l’Education nationale (1984-1986), Chevènement était de retour dans les médias ces derniers jours, toujours avec les mêmes convictions rabougries, la même nostalgie pour un passé fantasmé, le refus ou l’incapacité de comprendre le monde d’aujourd’hui, les mêmes erreurs d’analyse martelées comme des certitudes :

« L’essentiel, c’est la transmission. Il faut apprendre à aimer la France à travers les grandes œuvres. Il faut rétablir le roman national. L’école n’a pas à refléter le miroitement de la société au jour le jour. »

Alors que l’essentiel, c’est l’éducation ; que l’école est dans la société et que l’amour de la France et de son roman ne peuvent en aucune façon être des prérequis pour faire grandir les élèves dans le respect de l’autre.

Car ce qui est en jeu, dans ce maelstrom malsain créé artificiellement autour de l’école par des médias et des politiciens aux idées courtes mais brutales, c’est quand même bien de savoir si l’école est capable d’accepter l’idée d’une communauté scolaire qui ne serait pas enfermée dans les frontières obsolètes et potentiellement dangereuses de la nation.

Soutenir, comme l’a fait Najat Vallaud-Belkacem que « La Marseillaise » serait la voie du salut révèle surtout l’absence d’un réel courage politique pour s’attaquer aux problèmes qui minent la société.

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